Editorial de Bertrand Barré - juin 2011
Dans mon éditorial de Septembre 2010, ce n’est pas si loin, je me félicitais de la décision du gouvernement allemand de repousser la sortie de ce pays du nucléaire. Ces bonnes résolutions n’ont pas résisté à la réalité électorale : au lendemain de l’accident de Fukushima, avant toute analyse des causes et circonstances de cet accident mais juste avant des élections régionales qui s’annonçaient difficiles pour la coalition au pouvoir, la Chancelière décidait l’arrêt immédiat pour trois mois des 7 réacteurs nucléaires les plus anciens[1]. Le Bade-Würtemberg étant passé aux mains des Verts, le gouvernement allemand a annoncé fin mai l’arrêt définitif de 8 réacteurs, ajoutant Krümmel aux 7 précédents, et l’arrêt progressif des 9 autres réacteurs avant fin 2022 (c’est-à-dire un simple retour à la loi votée en 2001 sous la coalition précédente Verts-SPD). Cette décision devrait être confirmée par le Parlement le 6 juin.
Cette décision a été abondamment commentée dans les média, beaucoup d’entre eux posant la question : la France doit-elle, ou peut-elle, suivre l’exemple allemand ? Je vais donc y aller aussi de mon commentaire…
Il y a des domaines où nous pouvons admirer, voire envier, nos voisins d’outre-Rhin. Dans le champ qui nous concerne, par exemple, on peut rendre hommage à leur développement des énergies renouvelables dans un pays aux capacités hydrauliques limitées par sa géographie. Mais en ce qui concerne l’environnement global, et en dépit de sa forte image « écolo », l’Allemagne est plus un repoussoir qu’un modèle. Allez donc voir près d’Aix-la-Chapelle leurs paysages éventrés et saccagés par les exploitations à ciel ouvert de lignite, le plus sale des combustibles fossiles. Savez-vous que dans les 15 années qui viennent il est prévu d’évacuer 45 000 personnes, en détruisant 18 villes et villages, pour étendre, dans l’indifférence générale, ces mines à ciel ouvert ? De quoi faire rêver ceux qui, en France, manifestent contre l’exploration des ressources de gaz de schiste ! Et que dire de ces grosses berlines qui foncent sans limitation de vitesse sur les « autostrades » tandis que l’industrie automobile allemande bloque toute tentative de limiter en Europe la puissance des moteurs ? Savez-vous qu’un kilowattheure électrique produit en Allemagne provoque l’émission de 5 fois plus de CO2 que le même kilowattheure produit en France – et ceci, bien sûr, avant cette décision d’arrêter les centrales nucléaires allemandes ?
J’ai recueilli sur le site de l’Agence internationale de l’Energie ces statistiques comparées qui se rapportent à l’année 2008 :
Allemagne France
Population (millions) 82 64
Consommation d’énergie primaire (Mtep/an) 335 267
Consommation d’électricité (TWh/an) 587 494
Emissions de CO2 liées à l’énergie (Mt/an) 804 368
Emissions par habitant (t/an) 9,79 5,74
Ces chiffres parlent d’eux-mêmes, me semble-t-il. Mais regardons maintenant les conséquences de la décision de sortir du nucléaire qui fournissait récemment 22% de l’électricité allemande. Déjà, pour fixer les idées, les huit réacteurs arrêtés produisaient annuellement plus d’électricité que tous les barrages français. Par quoi cette production nucléaire sera-t-elle remplacée ? la réponse est connue : par une augmentation de la production de charbon et de lignite (qui fournissent déjà 42% de l’électricité), par un développement important des centrales à gaz (pour compenser l’intermittence d’une production éolienne et solaire qui augmentera elle aussi), et donc des importations de gaz Russe, et par un basculement de sa situation d’exportateur net d’électricité à une situation d’importateur de courant… dont une fraction non négligeable sera d’origine nucléaire, même si une part du courant nucléaire français sera « blanchi » (ou verdi ?) en transitant par le réseau Suisse[2]. Il va de soi que tout ceci s’accompagnera d’un renchérissement significatif du prix de l’électricité.
Peut-être pensez-vous qu’après tout c’est leur affaire et que nous ne sommes pas concernés par une décision purement germano-allemande ? Voire ! Toute l’Europe est interconnectée et donc solidaire. Ces dernières années, nous passions la pointe de demande électrique d’hiver grâce à des importations de courant allemand : il risque fort de nous faire défaut l’hiver prochain… et peut-être même aurons-nous des problèmes dès cet été si une sécheresse persistante nous contraint à réduire la production de nos centrales. Les importations massives de gaz Russe vont faire monter les prix du gaz sur toute l’Europe. Quant aux émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, c’est toute la planète qui en « bénéficiera », alors même que les climatologues s’alarment de ce que la sortie de la crise économique mondiale s’est accompagnée d’une reprise mondiale de ces émissions… Je déplore aussi en la matière le manque de cohérence de « l’attelage franco-allemand » qui devrait entraîner toute l’union européenne, mais ceci est une autre histoire.
Finalement, qui va suivre l’exemple allemand ? L’Italie repousse un retour qui se dessinait. La Suisse aussi devrait maintenant sortir du nucléaire en 2034, ce qui leur laisse le temps de changer encore d’avis. Mais les autres européens, La Chine, l’Inde, les Etats-Unis, la Russie et l’Afrique du Sud ont déjà indiqué que le nucléaire continuait chez eux – bien sûr, en tirant le moment venu les enseignements de Fukushima.
Et s’il faut copier un de nos voisins, je préfère en la matière chercher mon modèle outre-Manche qu’outre-Rhin : le 18 mai, Mike Weightman, Inspecteur en chef des installations nucléaires britanniques a déclaré : « En considérant les causes directes de l’accident de Fukushima nous ne voyons aucune raison d’interrompre le fonctionnement des centrales ni de toute autre installation nucléaires au Royaume Uni. Quand on en saura plus, toute amélioration proposée sera considérée et mise en œuvre au cas par cas”[3].
[1] Biblis 1 et 2, Brüsbuttel, Isar 1, Neckarwestheim 1, Philipsburg 1 et Unterweser
[2] On a beaucoup lu que l’Allemagne était le premier pays industrialisé à arrêter son prgramme nucléaire : Faux ! L’Italie l’a fait en 1987, et importe de France, depuis lors, 15 ou 16 % de son électricité…
[3] In considering the direct causes of the Fukushima accident we see no reason for curtailing the operation of nuclear power plants or other nuclear facilities in the UK. Once further work is completed, any proposed improvements will be considered and implemented on a case-by-case basis